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1Stéphane : J’aimerais te poser une question sur ce que je comprends de l’évolution (je ne sais pas si le terme est juste, j’y reviens) de ton travail tel que tu me l’as présenté et tel qu’on le comprend dans le catalogue de l’expo « Electroshock » que tu as faite à l’occasion d’une expo au NY Carlsberg Glyptotek de Copenhague.
2Tu m’as raconté qu’enfant d’une dizaine d’années, tu faisais, « entre l’école et la maison », des tags de ta signature. Puis, dans les années 93-94 (tu as alors, si mes calculs sont bons, autour de 17 ans), devant la « seconde vague de tags à Paris » qui ne laissait plus suffisamment de place pour que tes tags soient visibles, tu as eu l’idée, t’inspirant de la force des publicités urbaines, de passer d’un nom de tag à un logo que tu as multiplié dans toute la ville – tu intègres donc alors ton activité de tagueur dans une démarche qu’on pourrait qualifier d’”artistique”. Outre la séquestration d’une image de publicité pour un café italien qui t’as fait connaître du grand public, le nom de Zeus est maintenant associé aux ombres portées du matériel urbain (nous en avons reproduite une dans ce numéro) ou aux « logos liquidés » (comme celui du M d’un fast food franchisé que nous avons également dans ce numéro). Tu m’as dit, à propos de ce type de travail, que tu allais « dans le sens de la ville ». Tu as également fait ce que tu appelles les « graffitis propres » où, à travers un pochoir, tu passes une partie de mur au Kärcher, le tag devenant la partie propre du mur – tu m’as d’ailleurs expliqué qu’il s’agissait d’un « retournement » obligeant notamment les entreprises de nettoyage des graffitis, pour effacer ledit tag, à nettoyer le mur entier (tu parles du « retournement » de la question de la « dégradation de la ville », le tagueur poussant les instances urbaines à poursuivre un début de nettoyage de la ville dont il est l’initiateur). Je suis désolé de ce long déroulement que j’opère, mais il est important pour te poser ma première question : le parcours que j’ai construit à partir de nos discussions est-il l’histoire (l’évolution ?) d’un jeune tagueur lambda (comme les Chiz et 1CPLK qui nous ont fait la couverture du numéro) qui est devenu un artiste reconnu comme tel (institutionnalisé) ?
3Zevs : Oui. En 1992, j’évite de justesse de me faire écraser par un RER alors que je tague dans un tunnel en banlieue parisienne. Sur le train silencieux, je lis « Z-E-V-S ». Ca m’avait vraiment marqué, c’était comme imprimé sur ma rétine. Du coup j’ai retourné la situation en me servant de ce nom pour marquer la ville. C’était un très bon tag pour s’inscrire haut et fort dans l’espace public.
4Puis je me suis intéressé à l’art par le biais des graffeurs américains dans les livres Spraycan Art, Subway Art et les films Beat Street, Break Street et Stylewars. J’étais aussi assez fasciné par les pochoirs, les silhouettes et les écrits qui recouvraient les murs de mon quartier du xxe arrondissement. Un jour, au cours de mes déambulations, je découvre le centre national d’art Georges Pompidou et je découvre par la même occasion l’art moderne et contemporain – c’est alors que je commence à développer des techniques plus insidieuses. Par exemple, une nuit, avec mon complice André, je réalise une attaque visuelle sur la façade du bâtiment. Muni d’une aérosol rouge sang et d’un cutter, j’interviens sur le visage d’Hitchcock sur une affiche publicitaire du musée laissant apparaître un point rouge dégoulinant sur le front du cinéaste.
5Je ne suis ni anti-pub ni anti anti-pub. Je cherche à révéler les mécanismes à l’œuvre dans la communication publicitaire : elle devient ainsi une source d’inspiration et de motivation. Je l’utilise dans mon travail comme support d’expression.
6C’est vrai que depuis quelques années il existe une reconnaissance de mon travail par certaines institutions étrangères. J’ai réussi à montrer mon otage Lavazza dans des musées allemands et scandinaves ; mais la France reste frileuse vis-à-vis de mon travail. Il m’a fallu squatter le palais de Tokyo pour organiser la remise de rançon et finaliser le projet du visual Kidnapping [*]. On dit qu’il faut du recul pour mieux voir les choses. Peut-être que si je m’installe à l’étranger, je recevrai des propositions pour exposer en France !
7S. : Sur l’invitation de Chiz et 1CPLK, je les ai accompagnés lors de leur “descente de tag” pour réaliser la couverture du numéro (descente qui n’était pas “vandale” puisque dans une friche). Je n’ai jamais tagué de ma vie (j’ai donc appris ces termes ce soir-là), et, pour te parler franchement, j’ai eu peur : un samedi soir, tard, dans une “zone” craignos, avec en arrière-fond des bruits de sirènes de police faisant des rondes régulières, et un jeune type créchant là, vaguement bourré et délirant, qui nous jetait ça et là des invectives. Bref, à investir un “lieu public” (même si laissé à l’abandon et donc bien peu public), pour y peindre alors “qu’on n’en a pas le droit”, j’avoue que je n’étais pas tranquille – quant à créer… (mais ce n’était certes pas moi qui œuvrais). D’où ma question : comment vis-tu cela, toi qui vas jusqu’à dessiner, on vient d’en parler, les ombres des sorties de station de métro parisien ou à peindre des coulées sous les logos de “grandes” marques ?
8Z. : J’aime bien travailler sous une certaine tension avec cette sensation de peur au ventre. Elle peut être plus ou moins intense, et le tout est de réussir à la canaliser vers une action précise [**]
Notes
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[*]
voir la page de ZEVS sur le site de sa galerie (http://www.patriciadorfmann.com/artist/zevs/)
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N.D.L.R. : une bonne définition de la politique)
Auteur
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2012
- https://doi.org/10.3917/chime.068.0015
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